Réseau Gallia

LE RESEAU GALLIA

1943-1944

Extraits du Mémoire pour le DEA d’Histoire du XXème siècle

de Jean-Philippe MEYSSONNIER (1994)

… L’histoire du réseau Gallia apparaît comme très représentative de celle de l’ensemble des réseaux S.R.* de la France Combattante. Cela est dû en premier lieu à ce que le réseau Gallia procède à son échelle d’une démarche pionnière, la mise en place par le B.C.R.A.* de réseaux de renseignement destinés à valoriser la contribution militaire de la France Combattante à l’effort de guerre allié, ainsi qu’à renforcer et conforter au sein de la Résistance l’autorité du général de Gaulle. Le chef du réseau Henri Gorce-Franklin personnifie à merveille cette dualité politico-militaire du B.C.R.A. et des réseaux qu’il organise sur le sol de la France occupée.

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… La mission GALLIA : coordonner et unifier le Service de Renseignement des Mouvements Unifiés de la Résistance. De sa mission naît un réseau qui fonctionne dans les règles.

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… Le B.C.R.A. a défini un certain nombre de priorités dans la recherche du renseignement : la priorité principale est accordée aux mouvements de troupes, à la localisation, l’identification et la composition des unités allemandes, aux travaux de fortification dans les régions côtières. Ces renseignements doivent être acheminés par télégrammes dans les délais les plus brefs. Tous les autres renseignements, notamment industriels, sont naturellement intéressants pour le B.C.R.A., mais ils ont un caractère moins urgent et peuvent sans dommage emprunter la voie des opérations aériennes.

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… Les réseaux sont des organisations contrôlées de l’extérieur, créées en vue de l’accomplissement d’une mission de type militaire, renseignement, évasion, action, liaisons aériennes, par l’un ou l’autre des services secrets alliés, le service français, le B.C.R.A., essayant naturellement de contrôler le plus grand nombre possible des réseaux opérant en France afin d’y affirmer une présence française et le poids du gaullisme. Les réseaux sont organisés autant que le permettent les règles de la clandestinité de façon très hiérarchisée, comme une unité militaire, et ne se livrent pas à un recrutement démesuré synonyme pour eux de danger. Ils ne recrutent que les agents indispensables à l’accomplissement de leur mission.

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… En zone sud en 1943, l’ennemi le plus dangereux est l’Allemand, à savoir le S.D.* lié à la Gestapo, les unités de campagne de la Feldpolizei de la Wehrmacht, et l’Abwehr, service de contre-espionnage de l’Armée allemande. C’est bientôt le S.D., dont l’influence ne cesse de croître qui, aidé de la Milice assume l’essentiel de la lutte contre les réseaux de renseignement.

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… Les services allemands sont parfaitement conscients de ce qu’un réseau de renseignement ne possède que deux parties «émergées», ses transmissions radio et ses agents de liaison. Il fait donc l’objet de recherches particulièrement actives notamment dans les gares et les trains.

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… L’entrée à Gallia est suivie automatiquement de l’immatriculation auprès du B.C.R.A. et tous les agents sont théoriquement considérés comme des militaires.

La Centrale recrute les chefs de région, qui recrutent les chefs de secteurs qui recrutent les agents. Chaque membre du réseau, quel que soit son rang, a à connaître le moins d’agents possible. En général, l’agent de base ne connaît que celui qui l’a recruté et celui qui passe prendre le courrier. Le chef de réseau n’a de contact qu’avec les PC* de régions qui eux-mêmes sont en liaison avec les seuls chefs de secteur. Les agents de liaison effectuent le va-et-vient entre les boîtes, transportant courrier, instructions et parfois matériel. La règle du cloisonnement étant observée de la façon la plus stricte possible, ces agents sont, à l’exception des contacts personnels du chef de réseau, le seul lien entre différentes parties du réseau, et sont à ce titre particulièrement exposés.

… les régions se réorganisent. Elles se divisent en un certain nombre de secteurs, selon leur taille, qui correspondent plus ou moins à un département, et qui sont eux-mêmes subdivisés en sous-secteurs. Les secteurs communiquent avec un PC régional constitué à cette échelle sur le modèle de la Centrale. Cette voie de communication est exclusive, les secteurs ne communiquent même pas entre eux. Ils font remonter chaque semaine au PC de région un courrier, délivré par un agent de liaisons spécialisé dans une boîte aux lettres qui est régulièrement changée. Des boîtes de secours sont aussi mises en place et servent à donner l’alarme au cas où une boîte est « brûlée », ou si des arrestations ont lieu. Un PC de repli est également prévu.

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… L’objectif permanent des régions est « le renseignement chez l’ennemi ». Les agents doivent donc infiltrer tout ce qui a rapport avec la présence des Allemands dans leur secteur, notamment les administrations.

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… les réseaux de renseignement produisaient aussi peu de papiers que possible et employaient un style rédactionnel très succinct au point d’en être souvent énigmatique.

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… Pour réaliser sa mission, le chef de région est libre de ses choix : il fixe son budget, recrute ses agents, organise tout son système de liaison. Son courrier doit être hebdomadaire, présenté de façon à pouvoir être transmis tel quel à Londres. Chaque région doit être organisée à l’identique comme un S.R. autonome.

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… Un réseau de renseignement, c’est aussi l’intendance. Après les coups durs de mai-juin 1943, le réseau grandit considérablement, ainsi que par concomitance son budget.

Les dépenses du réseau sont réglées d’une façon très stricte c’est-à-dire par une note générale : chaque chef de région établit ses prévisions budgétaires rubrique par rubrique pour le mois suivant. Les fonds sont livrés par un agent de liaison. Un barème des émoluments que reçoivent les membres du réseau est même exposé dans la note générale n° 12 du 21 novembre 1943. Il y est posé comme principe qu’ « il y a lieu de rechercher les concours désintéressés, ceci non pas tant par souci d’économie que par celui de la qualité de ces concours qui procèdent d’un idéal ». Il ne s’agit donc pas de salaires mais d’indemnités qui sont particulièrement indispensables à la survie des agents P 2*, qui sont les clandestins travaillant pour le réseau et n’exerçant aucune autre activité.

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… En mai 1943, quand s’achève la première tournée d’Henri Gorce en zone sud, le réseau Gallia compte sept régions bien structurées ou en voie de l’être et constituées d’un amalgame d’anciens des MUR qui acceptent de changer radicalement de structure et de méthode.

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… Henri Gorce-Franklin s’attache ainsi à doter la Centrale de son réseau d’un ensemble aussi complet, et aussi conforme aux normes du B.C.R.A. que possible, de services, pour en faire un instrument de commandement et de gestion du renseignement efficace.

En effet, Henri Gorce-Franklin entend tirer profit du temps dont il dispose pour donner à son réseau la plus grande extension possible, sans se limiter aux apports de ses différents contacts. Il cherche à organiser le plus vite possible autant de régions, qui de fait constituent autant de sous-réseaux, que son recrutement et la sécurité le lui permettent en qualité et en quantité.

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… Si la Centrale se développe correctement et si le réseau peut espérer de nouveaux rattachements, le rapport envoyé à Londres le 20 août 1943 souligne que le réseau au sens strict (les régions Gallia) comprend 6 régions opérationnelles dont trois, le long de la côte méditerranéenne, comptent 1 ou 2 départements chacune ; tandis que la région Ouest rassemble 18 départements.

… De plus le rapport souligne l’angoissant problème des liaisons.

… Il manque 17 appareils pour la communication directe des régions avec Londres et 35 appareils pour les liaisons internes.

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… Malheureusement, en mai-juin 1943, le réseau Gallia est durement éprouvé par une vague d’arrestations, la première de celles qu’il aura à affronter.

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… Fin juin 1943, les dégâts sont donc considérables : quatre des sept régions opérationnelles du réseau ont été en partie ou en totalité démantelées et une cinquième a perdu son chef en pleine phase d’organisation.

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… Les liaisons-radio de Gallia ont en théorie été mises au point à Londres par Henri Gorce et ses interlocuteurs de la section « R » du B.C.R.A.. L’arrivée des premières radios était prévue pour mars 1943 mais en fait les liaisons ne commencent à se mettre en place qu’à l’été et les transmissions de Gallia n’atteignent un niveau opérationnel acceptable qu’à l’automne suivant.

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… Les transmissions-radio et les opérations aériennes de Gallia sont alors assurées par des réseaux spécialisés mis en place par le B.C.R.A.. Ces réseaux, très cloisonnés et animés par un personnel très compétent, présentent toutes les garanties de sécurité possibles dans un tel contexte. Néanmoins, la mission Gallia ne peut être pleinement exécutée tant qu’elle dépend d’eux pour ses liaisons avec Londres. Les télégrammes du réseau sont transmis par le Centre d’Antennes Electre, dirigé par Jean Fleury alias Panier, qui était un des passagers de l’Hudson* du 15 février. Le courrier Gallia, très volumineux bien qu’il soit tapé sur papier à cigarette, comprenant les informations moins urgentes ou intransmissibles par radio (plans notamment) est acheminé à Londres par le réseau d’opérations aériennes Ecarlate, dirigé par Félix Svagrovsky dit César, autre passager de l’Hudson. Il est à cette époque rebaptisé Vector. Les courriers et télégrammes envoyés de France portent l’indicatif LIA, ceux envoyés d’Angleterre portent l’indicatif GAL.

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… Ainsi, alors que le trafic-radio moyen des réseaux B.C.R.A. s’établit à 226 télégrammes par mois de janvier à juillet 1943, il ne cesse de se développer rapidement d’août 1943 à juillet 1944, et culmine en juin 1944 à 3587 télégrammes. Le prototype du C.A. est le réseau Electre, créé à Lyon par Jean Fleury début 1943. Ce réseau centralise la transmission vers Londres des télégrammes de tous les réseaux SR de zone sud dépendant du B.C.R.A.. Cela permet de pallier les problèmes qu’un réseau comme Gallia rencontre dans la mise en place de ses propres transmissions.

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… En zone sud, le réseau Gallia est chargé de superviser la mise en place de cinq Centres d’Antennes (il y en a en tout une vingtaine). Ils ne sont pas réservés à son usage exclusif mais là aussi les contacts avec les C.A. sont cloisonnés. Chaque réseau dispose de sa boîte aux lettres. Les régions de Gallia, ainsi que les régions de ses sous-réseaux RP A S.R. mil. et RP B Reims-Noël, communiquent directement avec le C.A. qui leur est le plus proche géographiquement.

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… Mis à part Canard qui vient de la Centrale de Gallia, les chefs des C.A. sont en général des hommes recrutés à l’automne 1943. Ils viennent du Service Radioélectrique de Sécurité du Territoire, dissous après l’invasion de la zone libre.

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… D’une façon générale, c’est à l’automne 1943 que le réseau Gallia entre dans une phase de restructuration qui va lui permettre de donner sa pleine mesure. Les deux artisans de cette réorganisation sont le chef de réseau Henri Gorce et son nouvel adjoint, le colonel Louis Gentil.

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… L’apport le plus précieux de Gentil est le travail de réflexion qu’il fournit, de concert avec Henri Gorce-Franklin, sur un travail de réorganisation du réseau qui pour lui s’impose.

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… Gentil et Gorce rédigent une douzaine de « notes générales » destinées à rationaliser et uniformiser les méthodes de fonctionnement des régions du réseau.

La plus importante de ces notes est la première. Elle pose comme principe de base que l’organisation du réseau est strictement décentralisée, et que par conséquent chaque région est avant tout sous la responsabilité de son chef qui doit faire preuve d’initiative pour assurer un recueil régulier et une transmission rapide des renseignements.

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… le réseau Gallia s’agrandit également par de nouvelles prospections et surtout par le rattachement de réseaux existant déjà à la Centrale Gallia.

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… D’autre part, le réseau Gallia enregistre dès juillet 1943 deux ralliements d’importance. L’un est le fait d’un réseau belge surnommé Reims-Noël en raison des pseudonymes de ses deux chefs successifs, … Ce réseau faisait partie d’un vaste S.R. contrôlé par la Sûreté belge à Londres… il est intégré à Gallia auquel il apporte un renfort appréciable. Il prend l’indicatif RP B et couvre une grande partie de la zone sud.

Le second a lieu dès juillet 1943 c’est le rattachement à Gallia du réseau Dupleix dirigé par Hirsch-Girin.

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… Par un télégramme du 8 décembre 1943, la Centrale est informée que pour des raisons de sécurité, le nom et les indicatifs du réseau sont modifiés : Gallia devient Impérium, le courrier au départ de la France porte l’indicatif ZAC, celui au départ d’Angleterre l’indicatif AAZ. Cette mesure de sécurité classique ne touche cependant guère les agents ni même les chefs de région sur le terrain, pour qui « leur » réseau, quand ils connaissent son nom, est toujours le réseau Gallia.

Mission presque accomplie, Henri Gorce s’envole pour Londres, presque exactement un an après son arrivée, en vue de rendre compte et de prendre de nouvelles instructions pour la période cruciale qui s’annonce.

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… Outre la mise en place des C.A. et les Unités de Combat et de Renseignement (U.C.R.), le réseau Gallia doit en effet s’étendre en zone nord, où la répression allemande a creusé des vides dans le maillage établi par les S.R.. A l’automne 1943 en particulier, les pertes des SR en zone nord ont été extrêmement lourdes.

Surtout, une des organisations de renseignement les plus efficaces dont les Français, et même les Alliés, aient jamais disposé, la C.N.D.* a été en grande partie démantelée par un auxiliaire du S.D. à Paris…

… Les réseaux neufs comme Gallia et Nestlé sont appelés à prendre la relève.

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… En ce qui concerne le réseau Gallia proprement dit, de profondes modifications tant de sa structure que de ses tâches sont décidées. D’une part, le réseau doit, en vue des opérations de débarquement qui s’annoncent, autonomiser le plus possible ses régions, mettre en place ses Centres d’Antennes ainsi qu’un nouveau type d’organisation souple de renseignement sur un théâtre d’opérations, les U.C.R.. En second lieu, le réseau Gallia doit organiser et développer la recherche de renseignements militaires en zone nord, et particulièrement en Bretagne et dans la région parisienne, et ce sur la base des moyens Gallia existant. C’est donc un accroissement considérable de l’espace d’activité du réseau, qui va couvrir une grande partie de la France occupée.

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… Henri Gorce choisit pour cette tâche son adjoint Louis Gentil. Il prend la tête de Gallia-Zone Nord, baptisé réseau Darius.

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… le réseau Darius présente en mai 1944 un bilan satisfaisant. Il va malheureusement être déstabilisé par des arrestations.

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… en février 1944, le réseau Gallia est un réseau SR très solidement structuré, sûr, qui ne subit plus que des coups durs relativement rares eu égard aux conditions de la clandestinité. Il se compose de sept régions opérationnelles, Sud, Sud-Est, Sud-Ouest, Centre, Ouest, Est, antenne parisienne ; et de deux sous-réseaux importants, RP A SR mil., et RP B Reims-Noël. Il est en outre étroitement lié au réseau Dupleix, atout vital au plan de la sécurité.

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… Le S.O.E.* parachute en peu de temps un matériel radio considérable en France. L’idée est non seulement d’accroître le trafic-radio, mais aussi de noyer les services de repérage allemands sous une masse d’opérateurs et de données à l’origine difficilement repérable grâce au système des plans de transmissions-radio.

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… de février à avril 1944. 63 containers sont parachutés amenant radios, armes, ravitaillement. Cela n’est pas l’abondance mais les régions de Gallia sont correctement équipées et la moitié des UCR prévues sur le papier sont organisées.

Les Allemands se préparent au débarquement et intensifient la répression, aidés de la Milice et de leurs divers auxiliaires. La bonne organisation du réseau et l’expérience acquise par ses chefs de région, qui ont pour la plupart de six mois à un an d’ancienneté ce qui dans leur position est considérable, limite les coups durs.

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… En dépit des pertes subies, lourdes mais inévitables, le réseau Gallia conserve quand le débarquement se produit enfin un potentiel qui en fait un des premiers réseaux de renseignement de la France Combattante. Le débarquement commencé, la mission du réseau est claire : il doit poursuivre et intensifier la recherche de renseignements et activer ses UCR dans les zones de combat.

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Le principal obstacle cependant est la répression qui s’intensifie jusque dans les tous derniers jours de l’occupation.

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… sur la côte méditerranéenne, après le débarquement du 15 août, les agents Gallia se joignent aux troupes françaises et américaines dont elles éclairent la progression…

… Le commandant Peslin, commandant la région Centre composée de 5 secteurs (Clermont, Moulins, Montluçon, Saint-Etienne, Brive) se retrouve au cœur d’une zone de durs combats entre troupes allemandes et FFI*, surtout après le 15 août. Ces combats se prolongent jusqu’au 11 septembre, date à laquelle la reddition d’une colonne allemande de 18000 hommes y met fin.

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… A la Libération, le réseau Gallia est un des principaux réseaux S.R. actifs sur le sol français. Cette réussite s’est payée de pertes très lourdes frappant des simples agents jusqu’aux responsables du réseau.

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Le réseau Gallia cesse officiellement son activité le 15 septembre 1944*.

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* S.R. : Service de renseignement

* B.C.R.A. : Bureau Central de renseignements et d’action (Londres)

* S.D. : Sicherheitsdienst

* P.C. : Poste de commandement

* P2 : agent permanent

* Hudson : premier bombardier patrouilleur de la Royal Air Force basé en Angleterre

* C.N.D. : Confrérie Notre-Dame

* S.O.E. : Spécial Opérations Exécutives (Service britannique chargé de l’action en Europe))

* F.F.I. : Forces Françaises de l’Intérieur

* le réseau Gallia a été en réalité dissous le 1er novembre 1944