CARRERE Henri

CARRERE Henri
Réseau GALLIA
CARRERE Henri

CARRERE Henri
Né le 20 janvier 1919 à Oloron Sainte Marie Basses Pyrénées
Inspecteur de Police à la Sureté Nationale

Agent de renseignement P2 du réseau GALLIA
Matricule 719 à/c du 1 juin 1943 – pseudo Mont de Marsan
Chargé de mission de 3e classe – Sous-lieutenant
Région Sud-Ouest – Secteur Pau
Chef du Secteur de Bordeaux
Blessé en service commandé le 28 août 1944

Incorporé aux Armées le 27 novembre 1939, admis comme élève-officier le 6 mai 1940, dirigé le 20 mai 1940 sur le Centre d’Instruction d’aspirants de Fontenay le Comte et démobilisé le 18 octobre 1940.

Engagé au Réseau GALLIA du 1 juin 1943 au 30 septembre 1944, en qualité d’agent P2, au grade de chargé de mission de 3ème classe (sous-lieutenant).
Blessé en service commandé le 28 août 1944.
Médaille de la Résistance au titre du Ministère de l’Intérieur J.O. du 11/04/1946

Il écrivait le 10 février 1948 à l’ancien Chef du Réseau GALLIA et président de l’Amicale GALLIA :
… Je vous rappelle que j’ai été contacté en juin 1943 par René Ladoumègue et Joseph Bialé* et immatriculé à cette époque sous le n° 719.
Mon activité a en particulier, consisté à fournir toutes les semaines la synthèse des rapports hebdomadaires des Renseignements Généraux de la Région de Bordeaux, faire de la surveillance de garnison dans les Landes (Dax et Mont de Marsan), fournir des renseignements sur le stationnement, le cantonnement, la situation des Etats-Majors des garnisons, les liaisons des troupes allemandes.
Lorsque Ladomègue fut arrêté, je fus relâché par la Gestapo à Bordeaux et du me « mettre à l’abri » quelques temps chez mes parents dans les Basses-Pyrénées…

Cet Officier de Police écrivait à Monsieur le Ministre de la Défense nationale et des Forces Armées, le 29 mai 1955 :
… mes services au Réseau GALLIA de la France Combattante sous le n° 719, à compter du 1 juin 1943 au 30 septembre 1944.
Les missions qui me furent confiées furent surtout la recherche de renseignements militaires proprement dits : surveillance des garnisons allemandes, stationnement, départ, mouvements de troupes, relevés de totems, identification des liaisons, implantation des Etats-majors, situation et nature d’aérodromes, des défenses antiaérienne, de fortifications du mur de l’Atlantique et également identification d’agents du S.R. allemand ou de collaborateurs dangereux.
Mon activité s’est déroulée dans la région des Basses-Pyrénées, Landes et Gironde et particulièrement à Pau, Mont de Marsan, Dax, Bordeaux.
Fin avril 1944, mon chef de secteur de Bordeaux fut arrêté par les Allemands à Bordeaux et une importante partie des agents de GALLIA fut arrêtée et déportée par la suite. Je dus me mettre à l’abri pendant quelques temps (j’étais recherché par les Allemands au domicile de mon chef de secteur) et me réfugier à Oloron, Basses-Pyrénées jusqu’à mi-juin 1944. Je repris ensuite mes contacts et continuai mon activité dans la Résistance jusqu’à la Libération.
Le 28 août 1944, jour de la Libération de Bordeaux, j’ai été blessé en service commandé (par balle de mitraillette au mollet), dans cette ville, rue d’Ornano, à 15 heures, on participait à l’arrestation d’un milicien, dans le cadre des opérations de nettoyage de la Libération…

CARRERE Josiane, sa fille :

LE DEVOIR DE MEMOIRE…

« Il s’appelait Henri CARRERE, c’était mon Père.
Pour vous c’était Henry, matricule 719.
Il s’est engagé dans la résistance en juin 1943, peu de temps après la constitution du réseau GALLIA dans le Sud-ouest.
Il avait choisi en venant à vos côtés ces quelques vers de Victor Hugo :

« Et je médite obscur témoin,
tandis que déployant ses voiles,
L’ombre où se mêle une rumeur
Vient agrandir jusqu’aux étoiles,
Le geste auguste du semeur.  »

Notre enfance a été bercée par ses récits dans lesquels il a tenté, je crois avec un certain succès, de nous raconter sans nous effrayer et toujours avec beaucoup de modestie, ce qu’a été sa vie de jeune homme pendant cette période si difficile. Il était fortement attaché aux mots Honneur et Liberté.
Aujourd’hui, je me sens envers lui ce devoir de mémoire, de transmission de ses souvenirs.
Ce que chacun de nous voudrait voir perdurer au travers de ses descendants.

C’est pourquoi je vous ai rejoint au sein de l’Amicale Réseau GALLIA :

« Pour ne pas oublier ».

Ses récits m’ont permis de me construire autour de l’histoire de mon pays et de celle de mon Père.
Après avoir participé à la campagne « désastreuse » de 39/40, en tant que soldat (c’était ses propres mots), il s’est intéressé à ceux qui luttaient dans l’ombre, en écoutant avec assiduité Radio Londres. Il admirait le Général de Gaulle pour son attitude patriotique et courageuse et l’appel du 18 juin fut le déclic. Il était résolument hostile au nazisme et à ses méthodes criminelles et aspirait à la libération de sa patrie. Après deux tentatives échouées de rejoindre Londres depuis une petite ville près de La Rochelle, Papa est entré le 1er juin 1943 dans le Réseau GALLIA tout fraichement installé dans sa région.
Il a été recruté comme agent P2 (chargé de mission 3e cl.) au sein du Groupe 46 de la région de Pau commandé par Marcel CHAUSSIN, sous la direction d’Henri LADOMEGUE.
En juillet 1943, Papa prend les fonctions d’inspecteur de police, fortement poussé dans son choix par Henri LADOUMEGUE. C’était la couverture professionnelle idéale pour se dé-placer sans éveiller les soupçons, grâce aux sauf-conduits obtenus sans réserve. Cela lui a permis de mener à bien sa mission d’informateur et de collecter un maximum d’éléments sous couvert, pour les transmettre ensuite au réseau.
Il circulait le plus souvent à bicyclette ou en train. Il a parcouru des centaines de kilo-mètres, des Landes aux Basses Pyrénées (devenues aujourd’hui Pyrénées-Atlantiques).
De Mont de Marsan à Dax et sur toute la côte Basque, il prenait des photos du mur de l’atlantique, des blockhaus, des positions ennemies et de toutes autres installations.
Il étayait ses informations par des documents officiels qu’il consultait à son travail dans la police et qu’il recopiait : mouvements de troupes allemandes (détachements, installations), emplacements de DCA, identification d’agents de SR allemand, de miliciens et de collaborateurs dangereux, fourniture de rapports hebdomadaires du service régional des Renseignements Généraux…
Il a connu à cette époque Joseph BIALE, Bertrand LARTIGAU et Émile FREYMANN.
Début 44, en février ou mars, à Dax, un agent de renseignement Léonce DUSSARAT, appelé « Léon des Landes », chef départemental des FFI et de la Résistance du départe-ment des Landes et de la zone nord des Basses Pyrénées, s’était procuré un document émanant de Berlin et incitant vivement à arrêter et interner les anciens cadres de l’armée, les officiers et sous-officiers de réserve, susceptibles de jouer un rôle dans la résistance.
Par le premier train, mon Père s’est rendu à Bordeaux pour en informer Henri LADOUMEGUE. Deux jours plus tard, radio Londres passait un message d’alerte qui a permis à certains membres du réseau de quitter à temps leur domicile et de rejoindre le maquis.
Papa a continué à travailler aux côtés d’Henri LADOUMEGUE jusqu’à l’arrestation de ce dernier, fin avril 1944. Prévenu par Jeanne, l’épouse d’Henri LADOUMEGUE, Papa a réussi à éviter in extremis les Allemands et n’a pas été arrêté. Il était cependant active-ment recherché et condamné à mort par « contumace ». Petite, ce mot à lui seul me paraissait barbare. Il trouva refuge pour un temps, dans le piémont pyrénéen, berceau de sa famille.
J’ai connu Jeanne LADOMEGUE. Lorsque nous allions chez elle, elle avait une attention toute particulière pour Papa, presque comme si c’était son fils et pour nous, elle avait des gestes de grand-mère très affectueuse. Papa lui vouait un grand respect. J’ai pris conscience de ce que cela signifiait, seulement à l’âge adulte : Il était le seul lien qui lui restait avec son mari tué par les Allemands et en même temps c’était grâce à elle que mon Père était toujours vivant, puisqu’elle avait pu le prévenir à temps du danger.
Je comprends pourquoi Papa prenait un air si grave, pour nous parler de tous ses amis arrêtés par la Gestapo ou tués sous ses yeux. On sentait que pour lui, ce chagrin était toujours présent.
Il saisissait aussi cette occasion pour nous faire un rappel sur le vrai sens du mot amitié. Pour lui, il y a des amitiés indéfectibles, qui passent les frontières du temps, hommage à « ses chers disparus ». Ce sont celles-là qui sont importantes, car elles nous font grandir et nous marquent à tout jamais.
Le 28 août 1944, il a participé activement à la libération de Bordeaux. Malheureusement dans l’après-midi, alors que les combats avaient pratiquement cessés, que les Bordelais s’apprêtaient à fêter avec joie la Victoire, il a reçu une rafale de mitraillette dans la jambe, venue d’un franc-tireur allemand, encore posté sur les toits.
Ces cicatrices qui sont restées visibles tout au long de sa vie, et qui l’ont gardé impotent, pour nous enfants, c’était la représentation, on ne peut plus concrète des blessures de la guerre. Ces blessures qui ne se sont jamais refermées comme celles de son cœur, ne nous ont pas laissés indifférents.
Il était très fier d’avoir permis à des familles juives de franchir la frontière, celles qui avaient choisi de trouver refuge ailleurs. Mais toujours, il mettait en avant les autres, ceux qui l’avaient aidé, ceux qui partaient vers l’inconnu, pas sur lui qui les accompagnait.
Il n’oubliait pas de parler des déportés, « de tous » comme il disait. De l’horreur nazie, de la terrible chasse contre les juifs, les résistants, les francs maçons et contre certaines populations dont une grande partie était originaire d’Europe de l’Est. Beaucoup finissaient dans les camps de concentration.
Lorsque nous regardions ses 12 médailles rangées dans son bureau, il nous expliquait à quel titre on lui avait remises : d’abord celles de soldat mobilisé, puis celles de la résistance. Chaque fois nous étions tout aussi admiratifs de son passé et de ses actes de bravoure.
Dans les familles il y a des fêtes incontournables, l’anniversaire, les fêtes païennes, religieuses, la commémoration des victoires …
Chez nous, au même titre que ces autres fêtes, nous célébrions celles du 8 mai, du 18 juin et du 28 août. C’était de grands moments de joie passés le plus souvent en famille autour d’un bon repas. Le 8 mai nous avions droit au défilé et j’avoue encore aujourd’hui ouvrir ma télévision pour célébrer l’événement. Le 18 juin 1940 je n’étais pas encore née, mais Papa nous a très tôt fait écouter l’appel du Général de Gaulle. Si toute petite je sentais juste que cette voix avait une grande importance, plus grande j’ai appris ce que chaque mot signifiait en les replaçant dans leur contexte.
Cette voix si particulière et aussi tellement émouvante résonne encore dans ma tête.
Il se disait avoir eu beaucoup de chance et que nous aussi, nous étions chanceux de ne pas avoir connu ces tourments. Pour lui nous devions prendre exemple sur ces aînés pour faire des choses bien. « Pour que les personnes qui sont mortes ne soient pas mortes pour rien… ».
Au travers de ses mots et de ses maux, il nous a appris à nous cinq, ses enfants, à ne pas oublier ceux qui ne sont plus là pour témoigner.
Il nous transmis ce devoir de mémoire.
Celui de dire à nos enfants, non nous n’avons pas connu cette époque, mais un être cher l’a vécue et a souffert dans sa chair et son âme pour que simplement nous soyons là, à parler librement. Profitons de cette liberté et ne la galvaudons pas. Elle a un prix inestimable.
Aujourd’hui, ma fille de 20 ans, a encore cet honneur et cette fierté de raconter son grand-père et au travers de lui ce que ces jeunes ou moins jeunes, épris de Liberté et d’Égalité ont fait pour nous. Elle connait aussi la signification du 8 mai, du 18 juin, du 28 août… Alors j’espère qu’un jour, à son tour, elle continuera à transmettre cette mémoire auprès de ses enfants. Pour ne pas rompre la chaîne, la chaîne de l’amour.
Merci à tous ceux qui m’ont donné le courage et la possibilité de m’exprimer et la volonté de rechercher dès que je le pourrai, dans les archives nationales privées ou militaires, d’autres informations sur la vie de mon père pendant la guerre et de lui rendre encore hommage.

Merci à toi aussi Papa. »
Sources : la fille de CARRERE Henri – Amicale Mémoire du Réseau GALLIA